L’IA générative : une menace pour la photographie ?

Les IA génératives, tant de textes (dont ChatGPT est l’exemple le plus célèbre) que d’images (comme par exemple Dall-E, Craiyon, ou Midjourney), ont défrayé la chronique ces derniers mois. Dans le monde de l’image, certains professionnels craignent qu’ils remplacent les photographes. Qu’en est-il à l’heure actuelle ? quelles sont les limites des IA génératives et les spécificités de la photographie ?

Ce qui distingue la photographie de tous les outils de création d’illustration, des plus traditionnels – que sont par exemple le dessin, la peinture ou la gravure – aux plus récents, tels que les outils graphiques numériques et les IA génératives, c’est son lien avec le réel. En effet, la raison d’être première de la photographie est de capter ce qui nous entoure et d’en créer une trace durable. La photographie peut mémoriser toute la richesse des détails d’une scène, des instants furtifs, de manière plus précise et complète que l’œil humain.

Si les IA génératives peuvent représenter un nouvel outil, très prometteur, pour les artistes et les créateurs de contenu, utilisant l’image comme moyen d’expression, elles ne peuvent et ne pourront pas documenter la vie des gens. Ce type de photographie, qu’il s’agisse d’un contexte de festivités privées ou de manifestations publiques, nécessite une présence humaine et l’utilisation d’un outil de capture d’images fixes ou animées (photo ou vidéo), qui reproduit la réalité observée de manière objective.

Actuellement, les principaux domaines d’application de l’IA générative concernent le domaine artistique et illustratif, ainsi que la propagande. Et effectivement, elle peut, dans le cadre créatif, être perçue comme une concurrence à la photographie artistique. Mais, de même que la photographie n’a pas fait disparaître la peinture et le dessin ; l’IA ne fera sans doute pas disparaître la photographie comme médium d’expression artistique. En effet, certains artistes, qu’ils soient professionnels ou amateurs, préféreront toujours le caractère plus concret de l’appareil photo à l’aspect totalement abstrait de l’outil numérique.

Dans le domaine de l’illustration, le recours à l’IA générative pourra devenir de plus en plus intéressant au fil des amélioration des outils, mois après mois, tant il est vrai que cette technologie évolue à une rapidité exceptionnelle. Quelques images bluffantes ont déjà fait la une de la presse. Mais il faut garder à l’esprit, qu’actuellement, des dizaines, voire des centaines d’essais restent nécessaires pour obtenir un résultat photoréaliste satisfaisant. Il s’agit donc encore d’une activité assez chronophage, bien que peu coûteuse. Plus l’image que vous souhaitez obtenir doit être précise, et particulièrement si vous souhaitez qu’elle intègre une figure humaine, moins le résultat sera satisfaisant.

En guise d’exemple, voici ce que Dall-E propose lorsque qu’on lui demande une photographie d’un musicien, et plus particulièrement d’une personne jouant de la clarinette :

Ces images ne font illusions qu’au premier coup d’œil. Dès qu’on y jette un regard un petit peu plus attentif, elles ont un aspect bizarre, voire effrayant parfois.

En ce qui concerne le recours l’IA à des fins de propagande politique ou idéologique, il s’agit là d’une vaste problématique de critique de l’information. Des photographies retouchées à des fins de propagande ont existé très tôt dans l’histoire de ce médium. Dès le début du XXe siècle, des images publiées par certains régimes politiques ont été manipulées (modification de textes sur des bannières, suppression ou ajout de personnes…). L’apport des outils actuels est la plus grande simplicité et rapidité de falsification. Ce qui rend ce genre de pratiques accessible à un plus grand nombre de personnes et mouvements. L’IA n’a donc pas créé le problème de la remise en cause de la fiabilité des sources iconographiques. Elle en a, par contre, multiplié les attestations, ainsi que la finesse des falsifications et, de ce fait, la difficulté de les repérer à l’œil nu. Elle devient donc un danger réel dans le domaine de la diffusion des fake news, et pourrait piéger des personnes averties.

Mais revenons en à notre question de départ : dans quel domaine la photographie ne craint-elle pas le développement de l’IA ?

Pour y répondre, il suffit de penser à toutes les situations dans lesquelles le lien avec la réalité est important, c’est-à-dire quand la photographie fournit des informations spécifiques. Par exemple, si vous souhaitez une photo de votre maison, de votre famille, de votre équipe sportive, de vos vacances, de votre ami de toujours, de votre nouvelle innovation technologique, de la fête de votre prochain anniversaire, de l’inauguration de vos nouveaux bureaux, de votre mariage ou de la naissance de votre enfant, aucune machine ne pourra vous satisfaire. Des évocations de situations similaires ne seront pas votre réalité. Des illustrations lambda ne représenteront pas le moment qui compte pour vous. Seul un photographe pourra immortaliser cette réalité personnelle.

Ainsi, la photographie reste indispensable dans le domaine du reportage événementiel, dans l’immobilier, tant pour la vente d’un bien, que pour le portfolio d’un architecte ou d’un architecte d’intérieur, dans la photographie aérienne et ses nombreuses applications (par exemple pour documenter une zone urbaine ou naturelle, un bâtiment industriel ou résidentiel, un événement de grande ampleur…), dans la photographie de mode qui présente une collection spécifique, documentation du patrimoine dans toute sa diversité…

Comme vous pouvez vous en rendre compte, de nombreux projets nécessitent encore la composante humaine, l’œil d’un spécialiste de l’image sur le terrain, pour atteindre le résultat souhaité, l’objectif fixé. Et ce, tant dans le domaine privé, que professionnel.